The pro-IVG activist Justyna Wydrzyńska convicted. Regression of abortion rights: women’s health at risk

Condamnation de Justyna Wydrzyńska, militante polonaise pro-IVG. La régression du droit à l’avortement: la santé des femmes menacée

Justyna Wydrzyńska condamnée

Le 14 mars 2023, l’activiste polonaise Justyna Wydrzyńska, co-fondatrice de l’ONG « Abortion Dream Team » a été condamnée en première instance à 240 heures, soit 8 mois de travaux d’intérêt général pour « aide à l’avortement ». Elle a été dénoncée après avoir envoyé ses propres pilules abortives à une femme ayant sollicité l’aide de son organisation pour avoir recours à un avortement. Depuis l’annonce du verdict de la justice polonaise, des ONG à rayonnement international1 et des institutions internationales réagissent à tour de rôle en soutien à Justyna Wydrzyńska, et à travers elle à toutes les femmes. Tous mettent en garde contre l'effet dissuasif de la législation polonaise. En effet, des personnes voulant aider d'autres femmes à avorter pourraient être dissuadées à l'avenir, gardant en tête que le maintien de ce droit est loin d'être garanti, comme le montre son recul en Pologne.

De la même manière, cette décision dissuade certaines femmes de se procurer des médicaments dont l’efficacité et la sûreté sont pourtant approuvées par l’OMS. Le 15 mars 2023, les experts des Nations Unis ont condamné la décision polonaise et exigé l’acquittement de Justyna Wydrzyńska2. Ils expriment des craintes sur les répercussions de cette interdiction sur les autres pays et les situations où l’avortement reste légal. Les Nations Unies demandent au gouvernement polonais de dépénaliser complètement l’avortement au nom du droit à la santé des femmes. L’accès aux médicaments essentiels pour sécuriser des avortements et la prise en charge de cette pratique médicale est un droit fondamental.

Ce procès illustre la situation polonaise presque deux ans après la modification constitutionnelle réprimant le droit à l’avortement. Depuis lors, les réseaux parallèles d’entraide entre femmes sont en plein essor. Alors que l’interruption volontaire de grossesse (IVG) est autorisée dans une majorité grandissante de pays européens, avec 24 pays sur 27 États membres ayant dépénalisé ou légalisé l’avortement3, certains pays semblent aller à reculons. Après avoir essayé de l’interdire totalement en 2016, le gouvernement polonais a drastiquement restreint ce droit en janvier 2021. Le Tribunal constitutionnel a décidé le 22 octobre 2020 de limiter la pratique aux cas de viol ou de danger pour la vie de la mère, supprimant la possibilité d’avorter en cas de malformation du fœtus, rendant illégal de fait 90% des IVG dans le pays. L’impact dévastateur de la nouvelle législation polonaise sur la santé des femmes a de nombreuses fois été dénoncé par les organisations de défense des droits humains, notamment en réaction aux multiples morts de femmes dues à des chocs septiques après que des médecins aient refusé d’interrompre leur grossesse4.

La réaction des institutions européennes

En réaction à cette législation, le Parlement européen a voté une résolution le 26 novembre 2020 déclarant la Cour constitutionnelle polonaise illégitime. Lors du premier anniversaire de cette interdiction de fait de l’avortement en Pologne, une deuxième résolution est votée, rappelant que celle-ci ne réduit pas la nécessité de cette intervention pour les femmes concernées, mais les oblige à mettre leur santé en danger. Le Parlement européen condamne de nouveau cette violation des droits humains et invite la Commission européenne à proposer une directive sur la prévention et la lutte contre la violence sexiste incluant les violations des droits sexuels et génésiques.

S’opposant à ces résolutions, « Ordo Iuris », une fondation privée polonaise a demandé au Tribunal de l’UE l’annulation des résolutions du Parlement. Luttant contre le recul du droit à l’avortement, le Tribunal a rejeté les deux recours de 2021 et 2022 considérés comme manifestement irrecevables5.

Mais les institutions européennes n’ont pas attendu l’arrêt du Tribunal constitutionnel polonais pour lutter contre le recul progressif de ce droit, maintenant leur position de défenseurs des libertés fondamentales face aux contestations successives du gouvernement polonais ou des organisations protestataires. Ainsi, une série d’arrêt a été portée devant la CJUE, opposant le comité des citoyens de l’initiative citoyenne européenne intitulée « Uno di noi » (l’un de nous), demandant l’interdiction des financements européens pour les activités impliquant la destruction d’embryons humains – donc du droit à l’avortement – et la Commission européenne ayant refusé de transmettre l’initiative citoyenne au Parlement pour débat. Le 16 mars 2016 « Uno di noi » se pourvoit devant le Tribunal pour demander l’annulation de la communication en question6. Ce pourvoi, suivi par de nouvelles tentatives7 , ont tous été rejetés. Ainsi, alors que le gouvernement polonais a soutenu l’initiative citoyenne, pointant les failles juridiques et éthiques de la Communication, le Conseil européen et le Parlement européen ont plaidé en soutien de la Commission et contre « Uno di noi ».

Les droits sociaux menacés

De la même façon, la Charte sociale européenne joue le rôle de gardienne des droits sociaux depuis 1961, garantissant la jouissance sans discrimination des droits économiques et sociaux fondamentaux. Parmi eux, la Charte inclut dans son article 11 le droit à la protection de la santé. Les États membres sont de fait contraint d’éliminer autant que possible les causes d’une santé déficiente et de prévenir les problèmes endémiques8. Les droits sexuels et génésiques sont des droits fondamentaux basés sur la dignité et l’égalité, dont la violation constituerait un manquement au droit à la santé des femmes et des jeunes filles. De ce fait, l’avortement est compris dans ce type de droits et est protégé par la Charte sociale européenne. L’effectivité de l’accès aux soins de santé en Pologne est contrôlée par le Comité européen des droits sociaux qui publie chaque année un rapport sur la situation nationale. Après avoir jugé l’accès aux soins de santé en Pologne non conforme à la Charte, le rapport de 2023 réitère sa réponse, jugeant que le gouvernement n’a pris aucune mesure pour arranger la situation. Le Comité questionne également l’accès à la contraception et rappelle le droit d’information des citoyens de son coût. Enfin, le Comité condamne les lois polonaises restrictives sur l’avortement au nom des mauvaises conditions dans lesquelles ces avortements sont pratiqués, mettant en danger la santé et la vie des femmes qui y sont confrontées. Il est donc demandé à la Pologne de rétablir la situation afin de la rendre conforme à l’article 11 de la Charte de 1961, et de protéger le droit d’accès à la santé.

Ces dernières années ont été charnières pour le droit à l’avortement, faisant planer de nombreuses menaces sur les libertés fondamentales. L’interdiction pour les femmes de procéder à un avortement est un frein évident à leur droit de disposer librement de leurs corps et à la lutte pour l’égalité femmes-hommes ; mais celle-ci a également un impact sur l’égalité sociale et économique et constitue une forme de violence fondée sur le genre. En effet, lorsqu’un État refuse ou complexifie l’accès à l’avortement, c’est le droit à la santé des femmes qui est menacé. Si cette intervention médicale est extrêmement sûre lorsqu’elle est pratiquée selon des méthodes reconnues et encadrées9, elle est très dangereuse quand elle est pratiquée clandestinement. Aujourd’hui, une femme meurt toutes les 9 minutes des conséquences d’un avortement clandestin dans le monde10. Or, le recul du droit à l’avortement dans le monde et en Europe a pour conséquence d’augmenter le nombre d’avortements à risque, obligeant les femmes à se rendre à l’étranger ou à avoir recours à des opérations risquées. L'avortement en droit ou de fait porte atteinte à la santé des femmes, leur autonomie, leur intégrité sexuelle et corporelle, et même à leur vie.

Une menacé tenue au-delà de la Pologne

Le déclin progressif du droit à l’avortement n’a pas seulement lieu en Pologne ; la menace d’un retour en arrière plane au-dessus de l’Europe entière et s’étend bien au-delà. Les institutions européennes rappellent régulièrement que la criminalisation de l’avortement et les restrictions de son accès enfreignent les obligations contractées par les États membres en matière de droits humains. Cette reconnaissance se lit notamment par le volet social de l’Europe et des Nations Unies. Le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC), la Charte sociale européenne, la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, sont autant d’exemples consacrant le droit à la santé. Contraindre une femme à recourir à un avortement clandestin les renvoie à des pratiques très dangereuses pour leur santé.

Le droit à la santé a été utilisé comme argument par la Cour européenne des droits de l’homme lors de deux affaires conjointes contre la Suède. Le 11 février 2020, deux requêtes concernant des sage-femmes qui n’ont pas été embauchées en raison de leur refus, pour des raisons religieuses, de prendre part à des avortements ont été déclarées irrecevables pour défaut manifeste de fondement11. La Cour a pour la première fois consacré l’obligation de pratiquer l’avortement au nom de l’objectif légitime de protéger la santé des femmes cherchant à avorter. Étant confronté à l’argument montant du droit à l’objection de conscience, la Cour a rappelé l’obligation positive des États d’organiser son système de santé de façon à garantir que l’exercice effectif de cette liberté de conscience dans le contexte professionnel ne fasse pas obstacle à la fourniture de ces services. 

L’effectivité du droit à l’avortement est également menacée en Italie par le recours croissant au droit à l’objection de conscience des praticiens. En 2020, 64,6% des gynécologues refusaient de réaliser des avortements12.

Enfin, l’année 2022 fut témoin de menaces sans précédent. Le 24 juin 2022, l’annonce de la Cour Suprême des États-Unis d’annuler la décision historique Roe v Wade ayant ouvert le droit à l’avortement en 1973, entraîna l’interdiction de l’avortement dans 18 États américains et une stupeur mondiale. À moins d’un mois d’intervalle, le Parlement européen a voté deux nouvelles résolutions condamnant la décision des États-Unis. Dans un premier temps les députés ont appelé le Conseil européen à déclencher la procédure de révision des traités de l’UE afin d’introduire le droit à l’avortement dans la Charte des droits fondamentaux et de maintenir l’arrêt Roe v Wade .

Depuis le 15 septembre 2022, c’est au tour de la Hongrie de régir que les femmes souhaitant procéder à un avortement doivent en amont écouter les battements du cœur du fœtus afin d’être confrontée à ses fonctions vitales.

Malgré les rappels récurrents des institutions européennes sur le principe de non-régression13les évolutions constatées résonnent comme des sonneries d’alerte sur les ambitions des mouvements conservateurs envers le droit à l’avortement et les conséquences sur la santé des femmes, que le droit de se faire avorter soit menacé dans les textes législatifs ou dans son effectivité.

Anna DIAZ

Références

  1. Voir par exemple l’entretien d’Amnesty International France de Elisa Covo, “Justyna Wydrzyńska : tout ce qu’il faut savoir sur la condamnation de cette militante polonaise pro-IVG”, Madmoizelle, 15 mars 2023.
  2. Le communiqué de presse des Nations Unies, Expert UN appelle la Pologne d'acquitter la défenseuse des droits humains Justyna Wydrzyńska, 15 mars 2023.
  3. L’Irlande est le dernier pays européen en date à avoir dépénaliser l’avortement grâce au référendum du 25 mai 2018, adopté par le Parlement irlandais le 13 décembre 2018.
  4. Agnieszka T. décédée le 25 janvier 2022; Izabel décédée le 22 septembre 2021.
  5. Ordonnance du Tribunal du 11 octobre 2022, Fundacja Instytut na rzecz Kultury Prawnej Ordo Iuris c. Parlement,, T-41/22.
  6. Ordonnance du président de la première chambre du Tribunal, Initiative citoyenne européenne "One of us" e.a. c. Commission européenne, 16 mars 2016, T-561/14.
  7. Arrêt du Tribunal (deuxième chambre élargie), European Citizens' Initiative One of Us e.a. c. Commission européenne, 23 avril 2018, T-561/14 ; CJUE, European Citizens’ Initiative One of Us c. l’arrêt du Tribunal (deuxième chambre, chambre élargie), 26 juin 2018, C-418/18 ; CJUE, GC, Patrick Grégor Puppinck e.a./République de Pologne, Commission européenne, Parlement européen, Conseil de l'Union européenne, European Citizens' Initiative One of Us, 19 décembre 2019, C-418/18.
  8. Charte sociale européenne, art.11 paragraphe 1 et 3.
  9. Lignes directrices sur les soins liés à l'avortement [Abortion care guideline], Genève, Organisation mondiale de la Santé, 2022.
  10. Chiffres donnés dans un rapport du planning familial, 2016.
  11. CourEDH, Grimmark c. Suède et Steen c. Suède, 11 février 2020.
  12. Ministère de la santé italien, Relazione Ministro Salute attuazione Legge 194/78 tutela sociale maternita e interruzione volontaria di gravidanza – dati definitivi 2020.
  13. Selon lequel les pouvoirs publics ne doivent pas adopter des mesures qui amoindrissent le niveau de protection précédemment développé.
Transidentity in Europe: the consequences of the rejection of transidentity on economic and social rights

La transidentité en Europe : les conséquences du rejet de la transidentité sur les droits économiques et sociaux

La reconnaissance du droit à l’autodétermination entre recul et progression

En décembre 2022, les députés écossais votent une loi autorisant l’autodétermination de genre. Cette avancée sociale grandement saluée a malheureusement été bloquée par le gouvernement britannique. En effet, le 17 janvier 2023 Londres a officiellement bloqué la promulgation de ce texte en lui refusant l’assentiment royal – étape formelle mais indispensable pour promulguer toute législation au Royaume-Uni. En réponse à cette résistance, le gouvernement écossais a annoncé vouloir réagir, et a notamment proposé le recours à la « section 35 » du Scotland Act 1998 permettant de faire passer la loi sans l’accord du roi. Ces disparités sont révélatrices des tensions subsistant en Europe sur les questions de la transidentité, de la protection des personnes transgenres et du changement de genre à l’état civil. À la manière de l’Écosse, l’Espagne vient récemment de faire évoluer sa législation en faveur des droits des personnes transgenres, en autorisant l’autodétermination de genre. Le 28 février 2023, le Parlement espagnol a voté la loi « d'égalité réelle et effective des personnes trans » - ou « loi transgenre » - proposée par le parti Podemos.

L’autodétermination de genre permet de faciliter le changement de genre au niveau administratif, notamment en supprimant toute condition de diagnostic médical. Les personnes transgenres n’auront plus besoin de prouver leur dysphorie de genre, dont le processus est souvent long et dégradant, afin de voir reconnaître dès 16 ans le genre auquel elles s’identifient. L’objectif de ces lois est d’éviter aux personnes trans la détresse causée par l’inadéquation entre le sexe biologique et le genre auquel cette personne s’identifie, mais aussi de lutter contre la discrimination et d’accroître la protection des personnes trans. Dans le domaine des droits sociaux, la nouvelle législation espagnole met en place des obligations positives pour les entreprises et les administrations publiques visant à parvenir à une égalité effective pour les personnes LGBTQIA+. Ce-faisant, cette loi permet de diffuser des bonnes pratiques en termes d’inclusion. 

L’Allemagne est la dernière en date à s’inscrire dans cette lignée méliorative des droits des personnes trans. Le 25 mars 2023, un parlementaire a révélé l’existence d’un accord récent avec le gouvernement d’Olaf Scholz pour simplifier la procédure administrative du changement de genre, permettant aux personnes concernées de fournir une simple auto-déclaration.

Cette progression soudaine des droits des personnes de la communauté LGBTQIA+ est plus que jamais indispensable pour faire face à la transphobie ordinaire. Ces progrès ne doivent toutefois pas induire une illusion quant à l’acceptation grandissante des droits des personnes transgenre. La question de la transidentité en Europe reste incontestablement un sujet qui divise.

Malgré ces améliorations récentes, seulement une poignée de pays de l’Union européenne a promulgué le principe d’autodétermination au rang de loi nationale. Le Danemark s’est placé comme précurseur, adoptant ce principe dès 2014, rejoint l’année suivante par l’Irlande et Malte. Enfin, la Belgique a modifié sa législation en 2017 et le Portugal et le Luxembourg en 2018. Quelques maigres espérances sont aperçues en direction des Pays-Bas ou encore de l’Autriche, où certaines démarches de réformes semblent avoir été entamées. À l’inverse, la France semble plus mitigée. Pour l’heure, si un traitement médical ou une opération ne sont plus des critères nécessaires pour changer de genre à l’état civil, celui-ci reste subordonné à la décision d’un tribunal vérifiant la réalité de la dysphorie de genre. Pour les mineurs, l’accord des parents ou des détenteurs de l’autorité parentale est nécessaire jusqu’à l’âge de 18 ans - contre 16 ans en Allemagne par exemple.

Plus problématique encore, la Suède, pourtant vue comme pionnière des droits des personnes transgenres, a fait marche arrière vis-à-vis de leur protection. En février 2022, le gouvernement suédois annonçait la fin de l’autorisation d’hormonothérapie pour les mineurs, en n’autorisant cette pratique qu’en cas de recherche scientifique. Ce faisant, la Suède rejoint la position de la Finlande présentée en 2020. Une autre régression a été observée du côté de la Hongrie, qui a adopté en décembre 2020 une série de textes anti-LGBT. Le sexe est défini comme étant uniquement celui de la naissance, ainsi le changement de genre est interdit à l’état civil.

L’absence de consensus européen sur la question de la transidentité et le manque de définitions communes des notions correspondantes, expliquent les différences pratiques dans les pays européens. 

Pour le moment, l’Union européenne n’a pas développé de directive spécifique à la discrimination fondée sur l’identité de genre. La Directive 2000/78/EC promeut l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, interdisant la discrimination au nom de l’orientation sexuelle. Toutefois, son interdiction découle de la jurisprudence de la CourEDH. En 1996, la Cour inclut dans la catégorie de « sexe » la discrimination contre une personne au motif qu’elle a l’intention de subir ou a subi une conversion sexuelle. Puis la Directive 2000/54/CE vient inclure dans son préambule la discrimination fondée sur le changement de sexe d’une personne. Mais ces textes législatifs ne sont pas suffisants à la protection des personnes trans, notamment en raison de l’absence de reconnaissance et de définition consensuelle des notions « d’orientation sexuelle » ou « d’identité de genre ». Ainsi, une proposition collective a été déposée devant l’assemblée générale de l’ONU par la France et les Pays-Bas, relative à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Cette proposition européenne a été approuvée par 57 États mais une contre-déclaration de 57 autres États, fédérés par l’organisation de la coopération islamique est venue annihiler cette initiative. L’inclusion de l’expression de genre dans la notion de discrimination peut encore être couverte par l’interprétation des Cours européennes, et notamment la CJUE, au nom de leur combat contre toute discrimination fondée sur le sexe.

Depuis 2015, le Conseil de l’Europe encourage les pays-membres à faciliter l’autodétermination, soutenant de fait l’interdiction de la discrimination fondée sur l’identité de genre. Toutefois, cette discrimination ne reste prohibée que par une minorité d’États-membres.

Le droit à la protection de la santé : entre théorie et pratique

En 2019, l’OMS a retiré la transidentité de la liste des troubles mentaux. Cette reclassification tardive est une victoire pour les droits des personnes trans et une avancée majeure pour l’accès aux services de santé. Le lien entre la transidentité et le droit à la santé est indéniable. En effet, le fait de nier l’existence de cette identité ou de la pathologiser entraîne de la violence psychologique, verbale et physique sur les personnes concernées1. Premièrement, en appartenant à une minorité particulièrement critiquée, mal comprise et au cœur de discriminations institutionnelles, les personnes trans sont sujets à l’appréhension de violences réelles ou potentielles provoquant un stress anormal. Cette réalité a fait l’objet de nombreuses études, et a été théorisée comme « stress des minorités » par Ian H. Meyer2. Enfin, une étude de 2017 révèle que le taux de dépression est supérieur chez les personnes trans n’ayant pas encore entamé ou terminé leur transition, non seulement par rapport aux personnes cisgenres mais aussi par rapport aux personnes trans dont le processus de transition est terminé3. Toutes ces similarités dans les études scientifiques et empiriques, regroupant des expériences individuelles et sociétales, sont la preuve que la persistance des préjugés sur la transidentité fait que l'appartenance à la communauté trans affecte la santé mentale des individus. Ainsi, les gouvernements ayant récemment autorisé l’autodétermination ont reconnu leur volonté de combattre la dysphorie de genre, en dépathologisant la transidentité. 

La Charte sociale européenne révisée garantit dans son article 11 le droit à la protection de la santé. Dans le résumé de la quasi-jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, le Conseil de l’Europe précise que cet article 11 vient compléter les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ; ce-faisant, le droit protégé par la CSE découle directement du droit à l’intégrité de la personne humaine.4Il est explicitement indiqué que l’article 11 doit être interprété comme comprenant le respect de l’intégrité physique et psychique comme partie intégrante des droits à la protection de la santé.5.

Cette évolution interprétative de l’article 11 provient d’une réclamation collective initiée par Transgender Europe et ILGA-Europe contre l’obligation légale de stérilisation imposée en République Tchèque aux personnes transgenres voulant entamer une procédure de changement de genre à l’état civil. Ainsi, les droits définis par la Charte doivent être interprétés à la lumière de la réalité actuelle, en respectant la dignité des personnes. Dans cette décision de violation, le CEDS impose plusieurs obligations positives et négatives aux gouvernements, dont l’obligation de non-ingérence directe ou indirecte dans l’exercice du droit à la santé. Au nom de la dignité et de la notion de consentement, tout traitement médical qui n’est pas absolument nécessaire peut être jugé contraire à l’article 11, s’il est nécessaire pour obtenir l’accès à un autre droit. En l’occurrence, conditionner le changement de genre à l’état civil à la réalisation d’une opération médicale va à l’encontre de la Charte. Cette obligation de non-ingérence et de protection de la santé des personnes trans a été rappelée par le Comité dans ses conclusions de 2021, dans le cadre d’une réponse générale au sujet du droit à la protection de la santé des personnes transgenres mais aussi à l’attention de la Pologne. Ainsi, dans ses conclusions par pays, le Comité a demandé à la Pologne d’apporter davantage d’informations sur la situation des personnes transgenres dans le pays, notamment sur l’accès aux traitements de réassignation de genre et des conditions de reconnaissance juridique de l’identité de genre.

Cette question est indéniablement liée à la notion de consentement, puisqu’un consentement éclairé est essentiel au bon exercice du droit à la santé, à l’autonomie et à la dignité humaine. Non seulement les personnes transgenres doivent être libres de recourir à un traitement ou une opération médicale, mais elles doivent être précédées par des informations adéquates. De fait, imposer une opération médicale comme condition de facto pour permettre aux personnes trans d’être reconnues comme appartenant au genre auquel elles correspondent revient à leur imposer un consentement contraint.

Bien que ces législations soient favorables à la protection du droit à la santé des personnes transgenres, elles semblent encore trop exceptionnelles et invisibilisées pour être effectives. La réalité pratique montre toutes les difficultés auxquelles font face les personnes trans pour avoir accès aux soins de santé adéquats et les nombreuses situations dans lesquelles elles sont encore soumises à des traitements dégradants et discriminants.

Discrimination et harcèlement au travail : le fléau des personnes trans

Après avoir analysé une série de sondages sur les conditions de travail des personnes trans, la conclusion est limpide : partout dans le monde les personnes transgenres souffrent des discriminations subies sur leur lieu de travail du fait d’appartenir à cette minorité.

En 2020, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE a révélé les résultats d’une enquête, intitulé « Un long chemin à parcourir pour l’égalité des LGBTI ».6Au cours de cette enquête, un sondage a été réalisé au sein de la communauté LGBTQIA+ leur demandant s’ils se sentaient discriminés en raison de leur appartenance à cette communauté lorsqu’ils cherchaient un emploi, et séparément lorsqu’ils travaillaient. Ainsi, que ce soit en amont ou pendant leur période de travail, des discriminations sont subies. Parmi toutes les catégories de la communauté LGBTQIA+, les répondants transgenres sont nettement plus nombreux à s’être sentis discriminés au travail (35%). En 2022, un sondage IFOP pour L’Autre Cercle estime quant à lui que plus de la moitié des personnes LGBTQIA+ en France entendent des expressions LGBTphobes dans leur organisation de travail (« ce n’est pas un boulot de pédé », par exemple)7. Trois sur dix disent avoir été victime d’au moins une agression pour ce motif au cours de leur vie professionnelle8. Entre un et deux millions de personnes LGBTQIA+ cachent, aujourd’hui encore, leur orientation sexuelle au travail9. Ce fléau ne se limite pas qu’à l’Europe. Une enquête nationale canadienne sur le harcèlement et la violence dans les milieux de travail estime qu’en 2022, les personnes trans et non binaires font l’objet de harcèlement et de violence plus que les autres. 

En plus de la discrimination, les personnes transgenres font donc face au problème de harcèlement dans le domaine de l’emploi. Le harcèlement moral se définit par des actes répétés menant à une dégradation des conditions de travail, pouvant porter atteinte aux droits d’une personne, à sa dignité, sa santé physique ou mentale, et pouvant compromettre son avenir professionnel. En toute logique, le harcèlement peut être qualifié de discriminatoire s’il repose sur un critère de discrimination généralement admis ; donc il inclut l’identité de genre. 

L’article 20 de la Charte sociale européenne révisée interdit la discrimination fondée sur le sexe. Les États membres ont l’obligation de mettre en place des mesures permettant une égalité effective à tout stade de la carrière professionnelle. De plus, son article 3 protégeant le droit à la sécurité et l’hygiène au travail doit être interprété comme comprenant l’interdiction de la violence et du harcèlement au travail10. La Charte ne définit pas les risques à règlementer mais les États membres doivent prouver au Comité l’existence de mesures de prévention et protection adéquates vis-à-vis de certains domaines à risques, dont font partie les risques psychosociaux, de stress lié au travail, agression, violence et harcèlement sur le lieu de travail11. Il est aussi précisé que la Charte doit être interprétée de sorte à s’adapter aux réalités actuelles, il semble donc que la question spécifique des personnes trans doit être questionnée et protégée par les entreprises. 

À toutes les étapes de la vie professionnelle, que ce soit à l’embauche, dans le déroulement de carrière ou au moment du licenciement ou de la fin de poste, les personnes trans subissent les conséquences de la LGBTphobie banalisée. Cette situation de violations des droits humains spécifiques aux personnes LGBT au travail est particulièrement complexe, puisqu’elle n’est que très peu encadrée. Le droit de la non-discrimination s’applique de façon globale, y compris dans le secteur de l’emploi qu’il soit public ou privé. Toutefois, comme rappelé précédemment il n’y a pas de consensus sur la notion de discrimination et ce qu’elle englobe. La législation européenne ne prévoit pas d’interdiction spécifique de la discrimination fondée sur la transidentité. La jurisprudence a intégré ces violences dans l’interdiction des discriminations fondée sur le sexe, mais la couverture semble limitée aux personnes ayant subi un changement de sexe.

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée en 2011, est le premier traité relatif aux droits humains à inclure l’identité de genre de manière explicite parmi les motifs de discrimination. Au niveau national, une minorité d’États membres du Conseil de l’Europe ont expressément inscrit l’identité de genre dans leur législation de lutte contre la discrimination. La France a rejoint ces derniers très récemment, consacrant le terme « identité de genre » en tant que critère spécifique de discrimination12 afin de remplacer celui « d’identité sexuelle ». Cette évolution progressive permet d’éviter la confusion entre « sexe » et « identité » et ainsi d’éliminer toute stigmatisation.

Toutefois, ce manque de législation et l’inégalité des progrès à l’échelle mondiale permettent aux stéréotypes négatifs et à la discrimination de persister. L’absence d’action concrète des institutions révèle la passivité et le manque de considération de l’enjeu de ces discriminations et des conséquences sur la vie des personnes trans. La stigmatisation persistante empêche la compréhension de cette notion de transidentité.

In fact, the most effective development at the moment is more localised. For example, in 2012, the French organisation “l’Autre Cercle” created a Charter of LGBT+ Commitment, enshrining four main principles for companies. Companies can sign the Charter, committing themselves de fait à en respecter les principes et manifestant publiquement leur volonté d’atteindre l’égalité de traitement des salariés LGBT+. Cette Charte regroupe aujourd’hui 186 signataires. Face aux discordances internationales, les acteurs de la société civile seraient-ils les plus à même de protéger de manière effective les droits bafoués des minorités ?

Anna DIAZ

Références

  1. Révélé par de nombreuses enquêtes, voir entre autres : FRA - European Union Agency for Fundamental Rights,A long way to go for LGBTI equality“, 2020 ; Lucia S, Stadelmann S, Amiguet M, Ribeaud D, Bize R, Enquêtes populationnelles sur la victimisation et la délinquance chez les jeunes dans les cantons de Vaud et Zurich. Les jeunes non exclusivement hétérosexuel-le-s :populations davantage exposées? Lausanne : Institut universitaire de médecine sociale et préventive, 2017 (Raisons de Santé 279).
  2. Meyer IH, « Prejudice, social stress, and mental health in lesbian, gay and bisexual population : conceptual issues and research evidence », Psychological Bulletin, 129(5), 674-697, 2003.
  3. Durkwood, L., MacLaughlin, K., Olson, K. (2017) “Mental Health and Self-Worth in Socially Transition Transgender Youth.” Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, Volume 56, Issue 2, p. 116-123.
  4. Digest of the case law of the European Committee of Social Rights, June 2022, p. 111.
  5. Ibid, p. 112.
  6. FRA – European Union Agency for Fundamental Rights. A long way to go for LGBTI equality, 2020.
  7. Results of the 3rd LGBT+ Barometer of « L’Autre Cercle » in partneship with Ifop, Un état des lieux de l’inclusion des personnes LGBT+ au travail en France, 3 June 2022.
  8. Ibid, pp.8-9.
  9. Défenseur des droits, Agir contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans l’emploi, Guide may 2017.
  10.  Digest of the case law of the European Committee of Social Rights, June 2022, p. 63.
  11. Ibid.
  12.  Law n°2017-86 from 27 January 2017 on equality and citizenship.