A look at the social rights of people with disabilities: a dehumanising paradigm

Regard sur les droits sociaux des personnes en situation de handicap : un paradigme déshumanisant

Nouvelle condamnation française

« Une décision majeure qui pourrait être révolutionnaire si elle était bien appliquée par l'exécutif » - Magali Lafourcade, secrétaire générale de la Commission nationale consultative des droits de l'Homme (CNCDH)

Le 17 avril 2023, le Comité européen des droits sociaux (ci-après CEDS) a dévoilé publiquement sa décision sur le bien-fondé de l’affaire Forum européen des personnes handicapées (FEPH) et Inclusion Europe c. France.1La France a de nouveau été condamnée par le Comité pour avoir négligé les droits de personnes en situation de handicap et ainsi avoir violé les droits de la Charte sociale européenne. Pendant près de 5 ans, plusieurs associations françaises ont lutté pour faire condamner la France et faire avancer leur combat pour l’effectivité des droits sociaux, la liberté et la dignité des personnes en situation de handicap. Si les décisions du CEDS ne sont pas contraignantes, cette condamnation fait pression sur le gouvernement français, et pousse les États signataires à construire une société plus inclusive et respectueuse des droits de chacun. 

Les violations des droits sociaux des personnes en situation de handicap ne sont pas l’objet de faits divers, mais constituent un problème systémique. Quels que soient la nature ou le degré de handicap, les personnes concernées sont victimes de discrimination permanente et d’exclusion sociale, elles subissent des obstacles majeurs les empêchant d’accéder à une éducation adéquate, au marché de l’emploi et de bénéficier d’un système de santé et d’assurance convenable. De nombreux stéréotypes persistent dans la société, créant un déséquilibre de pouvoir et entraînant des violations régulières de leurs droits humains.

La question de la protection des personnes en situation de handicap revient progressivement sur le devant de la scène ces dernières années, grâce à l’implication de divers acteurs de la société civile se battant pour revendiquer la place de ces personnes et le manque global de politiques adaptées.

Ainsi, une dynamique de prise en compte et modification des politiques publiques est élaborée pas-à-pas en Europe ; mais au vu de l’urgence et importance de cette problématique, elle est insuffisante.

Après avoir récemment déconjugalisé l’allocation aux adultes handicapées (AAH) dans le but de garantir davantage d’autonomie aux femmes en situation de handicap2, la France a animé le 26 avril une conférence nationale du handicap (CNH). Prévue tous les trois ans par une loi du 11 février 2005, cette conférence est présidée par le président de la République afin de mobiliser toutes les parties prenantes autour du handicap et d’initier une dynamique nouvelle pour répondre aux problématiques évoquées. De nombreuses ONG ont boycotté la CNH et condamné son fonctionnement. Parmi elles, l’Unapei a déclaré avoir contribué aux groupes de travail préparatoires de la CNH mais qu’aucune de ses propositions n’a eu de retour3. The government justifies its inaction by claiming budgetary constraints. In fact, the progress made in recent years has been limited and even disconnected from the day-to-day realities of the people concerned. This inconsideration and ignorance of the realities of people with disabilities is similarly blamed on the French government’s failure to take account of the AAH, which remains below the national poverty line even though the material needs of people with disabilities are particularly high. Similarly, although measures have been taken following previous calls to order (autism plans put in place following the 2004 ECSR decision4), les efforts du gouvernement français semblent modestes et les mesures incomplètes.

Tout comme dans le reste de l’Europe, une différence se creuse entre la théorie et la pratique. En effet, si de plus en plus de règlementations viennent encadrer des situations propres aux personnes en situation de handicap, elles ne sont pas systématiquement appliquées. Au Portugal, alors qu’un changement de loi a assoupli les règles de tutelle, les préjugés dominent. Du fait de cette perception sociétale, la capacité juridique est très souvent retirée aux personnes en situation de handicap car elles sont considérées moins capables. En Allemagne, une nouvelle loi prévue pour 2023 permet d’accorder aux personnes en situation de handicap le pouvoir de refuser un tuteur et de faire prévaloir leurs propres décisions. Dans la pratique, cependant, une très grande marge de manœuvre est accordée aux avocats et tuteurs, venant entraver l’effectivité de cette règle.

L’implémentation de nouvelles mesures et d’initiatives européennes révèle quelques progrès – ne serait-ce que dans la reconnaissance des difficultés rencontrées par les personnes en situation de handicap, mais les statistiques prouvent que c’est loin d’être suffisant. En Europe, seuls 51,3 % des personnes handicapées ont un emploi, contre 75,6 % des personnes non handicapées. Pour les femmes et les jeunes handicapés, le chiffre est encore plus bas : 49 % pour les premières et 47,4 % pour les seconds. En matière de santé, l’OMS déclare que les établissements de santé ne prévoient pas les aménagements nécessaires aux personnes en situation de handicap du point de vue de l’accessibilité, ce qui rend leur accès jusqu’à 6 fois plus difficile pour ces personnes. Ces inégalités sont le fruit des conditions injustes auxquelles sont confrontées les personnes en situation de handicap, ce qui inclut entre autres la pauvreté et les obstacles rencontrés au sein du système de santé lui-même.

La lutte pour un changement de paradigme

Ces pratiques sont d’autant plus d’exemples légitimant la prise de parole et les revendications des acteurs de la société civile, élevant la voix face à la passivité des États et le mépris des expériences réelles alimenté par une stigmatisation constante des personnes en situation de handicap.

La capacité des organisations de la société civile de peser dans le débat public est incontestable, et d’une grande utilité pour permettre une amélioration de l’effectivité des droits sociaux des groupes minoritaires. Les acteurs de la société civile bénéficient d’outils d’une grande variété et adaptés aux spécificités de leurs réclamations, de sorte à occuper largement la scène publique pour se faire entendre par un gouvernement souvent peu réceptif aux problématiques abordées. Grâce à un travail de proximité et de mobilisation, des associations spécialisées dans la défense des personnes en situation de handicap font régulièrement entendre leur voix à travers des manifestations, des actions publiques, des rapports annuels, des pétitions, ou encore grâce au mécanisme de réclamations collectives mis en place par le CEDS. 

Ainsi, le FEPH a participé à la contestation, soutenue par de nombreux acteurs, du projet de protocole additionnel à la Convention d’Oviedo. Depuis 2014, le Conseil de l’Europe et son Comité de bioéthique réfléchissent à la réglementation du traitement et placement involontaire en psychiatrie, qui deviendra internationalement et juridiquement contraignante si elle est adoptée. Les organisations représentant les usagers et survivants de la psychiatrie, les personnes en situation de handicap, ainsi que des experts des Nations unies et organes internes du Conseil de l’Europe s’opposent à ce protocole, au nom de la protection des droits humains des personnes concernées. Ce long combat n’a pas été vain, puisqu’en mai 2022, le Comité des ministres du Conseil de l’Europe a décidé de prendre en compte les réclamations de la société civile et de suspendre l’adoption du projet jusqu’à la fin de l’année 2024. L’annonce de ce report résonne comme une victoire pour les ONG luttant contre cette règlementation puisqu’elles considèrent les traitements forcés qu’elle régit contraires aux droits humains des personnes en situation de handicap. Si l’objectif final serait de l’annuler totalement, les ONG voient ce report comme le signe qu’elles ont été entendues, alors qu’elles avaient l’impression d’être très peu écoutées. 

For example, EDF took part in the protest, supported by many stakeholders, against the draft additional protocol to the Oviedo Convention. Since 2014, the Council of Europe and its Bioethics Committee have been considering the regulation of involuntary psychiatric treatment and placement, which will become internationally and legally binding if adopted. Organisations representing psychiatric users, survivors and people with disabilities, as well as United Nations experts and internal bodies of the Council of Europe, are opposed to this protocol in the name of protecting the human rights of the people concerned. This long struggle has not been in vain: in May 2022, the Committee of Ministers of the Council of Europe decided to take into account civil society complaints and suspend the adoption of the project until the end of 2024. The announcement of this postponement is a victory for the NGOs fighting against this regulation, since they consider the forced treatment it governs contrary to the human rights of people with disabilities. While the ultimate aim would be to repeal the rule altogether, the NGOs see this postponement as a sign that they have been heard, whereas they had the impression that they were not being listened to.

Le rôle des acteurs de la société civile est particulièrement nécessaire dans la lutte pour les droits d'une minorité. Le travail de proximité des ONG et leur reconnaissance dans la sphère nationale et internationale leur permet de faire entendre la voix de personnes directement concernées par les mesures étatiques mais rarement écoutées. La défense des droits des personnes en situation de handicap touche une communauté particulièrement silenciée et recluse de l’espace public. À travers des actions de sensibilisation, les acteurs de la société civiles communiquent la réalité vécue par ces personnes, à la fois au reste de la société mais aussi aux pouvoirs publics. Face au mépris gouvernemental, les ONG portent des recommandations ancrées dans la réalité des individus concernés et communiquent sur des questions particulièrement sensibles. Ainsi, la question du consentement dans les actes médicaux et l’importance de l’autonomie individuelle sont des points d’autant plus sensibles venant s’ajouter à la lutte contre la discrimination, l’exclusion et l’invisibilisation des personnes en situation de handicap.

L’ambivalence des réponses du Conseil de l’Europe

Grâce à la mobilisation de l’Unapei, APF France handicap, l’Unafam et la FNATH face au non-respect par le gouvernement français de ses obligations en vertu de la Charte sociale européenne, le Conseil de l’Europe a pu constater le manque d’évolution et la violation des droits des personnes en situation de handicap, malgré les promesses faites par l’État. Les Présidentes et Présidents des associations à l’initiative de la décision du 17 avril 2023, fiers de voir les conséquences de leur travail, voient en ce soutien du Comité européen des droits sociaux « une reconnaissance de nos actions et de notre détermination à faire bouger les lignes »5. Cette victoire prouvant le bénéfice des acteurs non-étatiques à la société n’est pas une affaire inhabituelle, mais s’inscrit dans une longue lignée de décisions portées devant les différentes institutions du Conseil de l’Europe par diverses associations et organisations non-gouvernementales contribuant à lutte pour la reconnaissance des droits humains des personnes en situation de handicap.

La procédure de réclamation collective s’est souvent révélée efficace pour faire condamner un gouvernement à l’égard du droit des communautés minoritaires. Dans le domaine du handicap, la France avait déjà été condamnée en 2013 pour sa politique à l’égard de l’intégration des enfants autistes6. Toujours dans le domaine de l’inclusion des personnes en situation de handicap dans le système éducatif, le Comité a reconnu que le droit à l’éducation inclusive n’était pas effectif en Communauté française de Belgique7. Enfin, le manque de protection de la santé des enfants en situation de handicap a été reconnu par le Comité à travers la condamnation de la République tchèque en 20208


Ces dernières années, plusieurs pays ont été condamnés par la Cour européenne des droits de l’homme (ci-après CourEDH) à cause de leur gestion des droits des personnes en situation de handicap. Entre autres la CourEDH a défendu les droits sexuels et reproductifs9, le droit à l’instruction et d’accès à l’éducation10, et a condamné le retrait automatique du droit de vote aux personnes placées sous tutelle11. Si des affaires concernant des personnes en situation de handicap sont de plus en plus portées devant la CourEDH, les réponses ne sont pas toujours convaincantes. De nombreuses violations restent impunies car les requêtes sont jugées irrecevables par les juges. Ainsi, la CourEDH a considéré que les États n’étaient pas soumis à l’obligation d’intégrer les personnes en situation de handicap en milieu scolaire ordinaire (public ou privé)12 , ni à l’obligation de garantir un droit inconditionnel des personnes en situation de handicap mental à exercer leur droit de vote13. Il semble que la Cour ne procède qu’a des analyses basées sur les situations personnelles des individus concernés, et s’en tient à ne punir que des violations flagrantes de la part des États, contribuant de ce fait à la banalisation des discriminations à l’encontre des personnes en situation de handicap. Malgré l’intervention du Conseil de l’Europe, les juges semblent encore trop empreints de conformisme, révélant une interprétation des droits humains principalement orientée vers la défense des normes sociétales validistes, contribuant de fait à marginaliser les minorités handicapées. Dans son opinion dissidente de l’affaire Caamano Valle c. Espagne, le juge Lemmens soutient la différence entre la capacité juridique et mentale. De ce fait, il cite les dires du Commissaire aux droits de l’homme, rappelant que l’exclusion des personnes en situation de handicap de l’exercice de leur droit de vote prive ces personnes « de toute possibilité d’influencer le processus politique et de façonner les politiques et les mesures qui affectent directement leur vie ». Amplifiant l’impact de son opinion, il rajoute que cette exclusion prive également « la société dans son ensemble [...] d’un corps législatif qui [reflète] toute sa diversité »14

Toutefois, si Helen Portal (chargée de plaidoyer pour l’ONG Inclusion Europe) reconnaît l’intérêt de tels mécanismes, elle regrette la lenteur des procédures et le manque d’impact sur les gouvernements qui ne semblent pas prendre les décisions du Comité européen des droits sociaux au sérieux15. Pendant les 3 mois suivant la décision du CEDS, avant sa publication officielle, les ONG requérantes n’ont pas eu de possibilité de discussion avec la France, et après ça, il ne semble pas avoir eu de réels échanges pour pallier les problématiques soulevées par le Comité. Ainsi, les Présidentes et Présidents des associations à l’initiative de la décision du 17 avril 2023 ne peuvent être pleinement satisfaits : la décision révèle la continuité des manquements de l’État français vis-à-vis des droits humains des personnes en situation de handicap, de leurs proches et leurs familles et ne se trouve suivie d’aucun plan d’action. Malgré la reconnaissance des faits qui leur sont reprochés, les États ont tendance à estimer que les problématiques sont anciennes et n’expliquent plus à l’heure des décisions du Comité. Au vu de l’intervalle entre le moment du dépôt de la réclamation et la publication de la décision rendue par le CEDS, « le gouvernement en question rejette la faute sur le gouvernement précédent [...] il y a un manque de volonté de prendre ces décisions au sérieux »16. En effet, les délais se mesurent en années, et la vie des personnes en situation de handicap ne semble pas effectivement et directement empreinte de changement à la suite des décisions de non-respect des droits garantis par la Charte sociale européenne aux États du Conseil de l’Europe. Dans sa décision de boycotter la CNH, l’Unapei explique que malgré cette décision du Conseil de l’Europe, aucune responsabilité n’a été prise par le gouvernement. En ce sens, la CNH n’apparait être qu’une « nouvelle opération de communication » de la part du gouvernement17

Conflit de droits : l’autonomie individuelle bafouée

Les droits humains des personnes en situation de handicap sont régulés à l’échelle nationale et régionale, mais également à l’échelle internationale par la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH). En ratifiant cette convention, les pays s’engagent à garantir et promouvoir le plein exercice des droits humains et des libertés fondamentales des personnes handicapées sans discrimination. Adoptée par les Nations Unies en 2006, force est de constater qu’un grand nombre de personnes en situation de handicap se trouvent toujours dans des situations inadaptées à leurs besoins et privées de leurs droits les plus fondamentaux. En l’espèce, l’article 12 de la CIDPH, garantissant la reconnaissance de la personnalité juridique dans des conditions d’égalité a particulièrement été mis à mal ces dernières années. Ce droit protège les personnes présentant un handicap psychosocial, au nom du respect de leur autonomie individuelle, et soutient la prévalence de l’assistance à la prise de décision et le respect des choix et préférences de la personne plutôt que l’autorisation pour les tiers à donner un consentement en leur nom. Allant à l’encontre de l’esprit de ce texte international, le projet de protocole additionnel à la Convention d’Oviedo, dont il a été fait mention précédemment, prouve le conflit de lois entre les obligations des États au niveau régional et international et le non-respect des règlementations des Nations Unies. 

De la même façon, les personnes avec des handicaps intellectuels et psychologiques sont toujours considérées “incapables” juridiquement en France. Ces règlementations illustrent le mépris des autorités envers les personnes en situation de handicap et l’infantilisation de ces personnes. Ces mesures, en plus d’entraîner davantage d’institutionnalisation, entraînent un risque de traitements forcés. Ainsi, une augmentation du recours à la contrainte psychiatre a été constatée en France : en violation de l’article 25 de la CIDPH, des soins de santé sont fournis malgré l’absence de consentement libre et éclairé des personnes concernées. Ces dérives législatives sont la preuve du déni de la capacité juridique des personnes en situation de handicap. Ces personnes sont de manière systémique considérées comme incapables de discernement et de consentement, puisque cette solution automatique est moins compliquée à gérer pour les autorités et les structures de soin que le serait une évaluation individualisée et personnelle de chaque patient, prenant en compte le niveau de handicap et l’expérience vécue par les usagers. Cette façon de procéder entraîne des inégalités sociales et contribue à la spirale de stigmatisation des personnes en situation de handicap, exaltant le sentiment de détresse et d’incompréhension émotionnelle et mentale des individus concernés.



D'après Stéphanie Wooley, ces questions sont dues à un déséquilibre de pouvoir flagrant, qui ne pourrait être pallier que par un engagement politique courageux et innovant, et par le recours à des solutions alternatives fondées sur une approche sociale ayant comme prémisse les droits humains18. L’objectif du Social Right Tracker, en mettant en lumière les violations individuelles contribue à cette volonté de pointer du doigt les faiblesses actuelles des gouvernements en laissant les personnes concernées s’exprimer et les conseiller de manière éclairée. À travers cette plateforme, davantage de données et d’informations sur les changements seront collectées, et serviront de ressources pour les ONG. En effet, cette tâche reste un véritable défi pour des ONG comme celles à l’origine de la réclamation collective du 17 avril 2023. Dans des situations de discriminations telles que celles à l’encontre des personnes en situation de handicap intellectuel, le problème est que de tels agissements ne sont pas systématiquement reportées et recensés. Beaucoup de personnes ne sont pas au courant de ce qui est une discrimination, d’autres n’ont même pas la possibilité d’avoir accès à la justice à cause de l’incapacité juridique et du manque de connaissances nécessaires. Toutes ces difficultés complexifient le travail de collection de données et entravent la lutte pour l’effectivité des droits sociaux des personnes en situation de handicap.


Références

  1. CEDS, 17 avril 2023, Forum européen des personnes handicapées (FEPH) et Inclusion Europe c. France, Réclamation n° 168/2018.
  2. La déconjugalisation de l’AAH change le mode de calcul de l’allocation pour les bénéficiaires de l’AAH en couple. Depuis le 1erst octobre 2023, il est calculé à partir des seules ressources de la personne en situation de handicap concernée et non plus à partir des revenus cumulés des deux membres du couple. Ainsi, les femmes concernées reçoivent une allocation individuelle et indépendante de celle de leur conjoint, ce qui permet de diminuer leur dépendance financière. Voir le site d’information officiel : https://www.monparcourshandicap.gouv.fr.  
  3. Unapei, Communiqué de Presse « L’Unapei ne participera pas à la Conférence Nationale du Handicap et demande que le gouvernement prenne ses responsabilités en répondant aux violations des droits fondamentaux dénoncées par le Conseil de l’Europe », Paris, 26 avril 2023. V. https://www.unapei.org/wp-content/uploads/2023/04/Communique-de-presse-Unapei-CNH-26.04.23-4.pdf
  4. CEDS, 8 mars 2004, Association internationale Autisme-Europe (AIAE) c. France, n°13/2002.
  5. Pascale Ribes, Présidente d’APF France handicap ; Sophie Crabette, Secrétaire générale adjointe de la FNATH ; Marie-Jeanne Richard, Présidente de l’Unafam ; Luc Gateau, Président de l’Unapei, « Réclamation collective - Dossier de presse », 17 avril 2023.
  6.  CEDS, 11 septembre 2013, Action européenne des handicapés (AEH) c. France,, no 81/2012.
  7. CEDS, 3 février 2021, Fédération internationale des Ligues des droits de l’homme (FIDH) et Inclusion Europe c. Belgique, no. 141/2017.
  8. CEDS, 23 novembre 2020, Centre européen pour les droits des Roms (CEDR) et Centre de défense des droits des personnes handicapées mentales (MDAC) c. République tchèque,, no. 157/2017.
  9.  CourEDH, 22 novembre 2022, G.M. et autres c. République de Moldova,, no. 44394/15.
  10. V. CourEDH, 30 janvier 2018, Enver Sahin c. Turquien°23065/12 ; CEDS, 10 septembre 2020, G.L. c. Italie, no. 59751/15.
  11. CourEDH, 15 février 2022, Anatoliy Marinov c. Bulgarie, no. 26081/17.
  12. V. CourEDH, 8 novembre 2016, Sanlisoy c. Turquie, n°77023/12 ; CourEDH, 18 décembre 2018, Dupin c. Francen°2282/17 ; CourEDH, 17 décembre 2020, Charles et autres c. France, no. 3628/14.
  13. V. CourEDH, 2 février 2021, Strobye et Rosenlind c. Danemarkn° 25802/18 et 27338/18 ; CourEDH, 11 mai 2021, Caamaño Valle c. Espagne, no. 43564/17.
  14. CourEDH, 11 mai 2021, Caamaño Valle c. Espagne, no. 43564/17, p.33.
  15. Entretien réalisé par l’équipe du Social Rights Tracker avec Helen Portal, chargée de plaidoyer pour l’ONG Inclusion Europe, le 5 juin 2023.
  16. Ibid.
  17. Unapei, Communiqué de Presse, précité..
  18. Wooley S. « Ce n’est pas du soin si c’est contraint ». Un changement de paradigme en route grâce à un regard éclairé par les droits humains. L’Information psychiatrique 2020 ; 96 (1).
The exclusion of migrants in an irregular situation from the European Social Charter’s scope of application: the paradox of fundamental rights

L’exclusion des étrangers en situation irrégulière du champ d’applicabilité de la Charte: le paradoxe des droits fondamentaux

L’affaire CIJ et ECRE c. Grèce : réveil de la polémique 

D’importantes précisions sur l’applicabilité de la Charte sociale européenne (ci-après la Charte) aux étrangers en situation irrégulière ont été apportées par le Comité européen des droits sociaux (CEDS) dans une décision sur le bien-fondé, rendue publique le 12 juillet 2021. Cette affaire Commission internationale de juristes (CIJ) et Conseil européen sur les réfugiés et exilés (ECRE) c. Grèce1 est la première réclamation collective qui traite en profondeur des droits économiques et sociaux des demandeurs d'asile et des réfugiés. La Grèce a été condamnée pour avoir porté atteinte aux droits sociaux fondamentaux d’enfants réfugiés et demandeurs d’asile, qu’ils soient des enfants migrants accompagnés ou non accompagnés.

Le Comité a prouvé son ambition en convenant de mesures immédiates visant à assurer le respect effectif des droits de la Charte et éviter un risque de blessure ou de préjudice grave. Toutefois, une analyse plus poussée de la décision ranime le débat sur la variation de protection garanties aux étrangers en fonction de leur statut juridique. Dans le cas d’espèce, l’applicabilité de la Charte a été reconnue aux enfants migrants, conformément au droit international et au nom de l’intérêt supérieur de l’enfant. Le Comité a renforcé la protection accordée par l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme et reconnu aux États l’obligation de fournir une assistance d’urgence aux personnes concernées.

La condamnation de la Grèce est motivée par le principe de dignité et l’objectif de la Charte permettant d’étendre l’application du noyau dur de la Charte de façon exceptionnelle. Toutefois, le Comité recontextualise à plusieurs reprises sa décision, insistant sur la régularité de la migration dont il est question. Citant la jurisprudence précédente, il semble accorder une protection basée sur la situation individuelle des personnes concernées par la réclamation: en l’occurrence, des enfants en situation régulière. La vulnérabilité des personnes concernées est effectivement d’une importance majeure dans l’affaire, mais le Comité rappelle la limitation à laquelle l’applicabilité de la Charte est confrontée. Le droit d’accès à un logement d’un niveau adéquat est alors inapplicable aux migrants, même mineurs, en situation d’irrégularité mais accordé aux enfants demandeurs d’asile ou réfugiés.

Cette décision alimente la polémique sur la confrontation entre politique migratoire et objectif des droits fondamentaux. Les augmentations au sein de l’Union européenne de 64% des franchissements irréguliers de frontière en 2022 et de 46% des demandes d’asiles suscitent un sentiment d’urgence en Europe et ont poussé les dirigeants de l’UE à replacer la question migratoire en tête de l’agenda politique. Les ministres de l’Intérieur ont exprimé leur volonté d’augmenter le taux de retour des migrants en situation irrégulière vers leur pays d’origine quand l’asile leur est refusé. Bien que cette ambition soit légitime en vertu du droit effectif des États membres de contrôler l’entrée dans leur territoire, le séjour, et l’expulsion des étrangers en situation irrégulière, elle apparaît contraire aux objectifs de la Charte et des droits humains. Au vu de cette nouvelle menace, l’importance d’un plaidoyer pour l’extension de l’applicabilité de la Charte à tous les étrangers quelle que soit leur situation juridique est d’autant plus nécessaire.

Un double obstacle à dépasser

La démocratisation d’une telle extension rencontre certains barrages. Dans un premier temps, l’Annexe de la Charte convient d’une double-limitation de son champ d’application. Dans son premier paragraphe, il est indiqué que les droits garantis dans la Charte ne sont applicables ni aux ressortissants d’États non parties à la Charte, ni aux migrants en situation irrégulière2. Malgré les exceptions trouvées dans les articles 12§4 et 13§4, le champ d’application ne s’étend jamais explicitement aux migrants irréguliers. De plus, à l’image de la contestation des ministres de l’Intérieur, les États parties à la Charte repoussent cette éventualité. Le 13 juillet 2011, le CEDS a sollicité les États sur cette question, leur demandant des déclarations nationales visant à étendre les droits de la Charte à toute personne relevant de leur juridiction (ce qui inclut de fait es migrants irréguliers au vu de la compétence territoriale). Cette tentative d’extension du champ d’application de la Charte par la volonté des États s’est soldée par un échec, puisqu’aucun d’entre eux n’a répondu à cet appel à ce jour3. Cette passivité affiche le refus clair des États de faire bénéficier les migrants irréguliers des droits garantis par la Charte.4.

Évolution par l’interprétation : l’exemple de l’article 13

Si l’évolution du droit européen est marquée par une volonté de réduire le nombre d’individus susceptibles de se retrouver en situation irrégulière au nom du principe de libre-circulation, cette ouverture juridique semble restreinte aux ressortissants de pays européens membres de l’UE ou de l’espace Schengen. À l’inverse, le droit applicable aux migrants en situation irrégulière s’est développé en suivant une logique davantage répressive, négligeant leur protection en tant qu’individus. Depuis les années 2000, le CEDS participe progressivement à corréler la vocation du Conseil de l’Europe de protéger la personne humaine aux questions touchant les migrants irréguliers dans le domaine des droits sociaux. Au fil de sa jurisprudence, le Comité doit s’adapter à un environnement international globalement moins protecteur, afin d’actualiser la contextualisation des valeurs au fondement des institutions européennes. Pour ce faire, le Comité mobilise diverses interprétations de la Charte de sorte à respecter le principe de la dignité humaine et de solidarité européenne. En mobilisant la logique d'interprétation dynamique, téléologique, et systémique consacrée en droit international, le Comité se montre entreprenant et développe pas-à-pas une jurisprudence allant dans le sens de l’application de certains droits de la Charte aux étrangers en situation irrégulière. En effet, tout traité se doit d’être interprété « à la lumière de l’objet et du but de l’acte qui les contient »5. Ce-faisant, la Charte se doit de protéger des droits sociaux non pas théoriques et illusoires mais de façon concrète et effective. 

Dès 2004, le CEDS s’avançait timidement sur le sujet de l’extension de l’applicabilité de la Charte. Dans ses conclusions XVII-11 de l’année 2004, les limitations du champ d’application inscrites dans l’Annexe ont été confirmées mais le Comité a nuancé son propos en rappelant la possibilité d’extension de l’application au-delà de l’exigence minimale prévue par le texte. De plus, le Comité prévient les gouvernements qu’une extension est envisageable dans certains cas particuliers au nom du principe de non-discrimination entre nationaux et étrangers.

La même année, le Comité admet pour la première fois dans sa quasi-jurisprudence6 que l’article 13 - garantissant une assistance sociale et médicale - trouve à s’appliquer pour la protection des migrants étrangers. Malheureusement, la violation n’est pas reconnue en l’espèce, plaçant un seuil de gravité extrêmement élevé. Malgré un comité majoritairement favorable à l’exclusion de cette catégorie d’individus, une volonté d’évolution est exprimée par M. Tekin Akillioglu dans son opinion dissidente. M. Akillioglu rappelle dans un premier temps que le champ d’application de la Charte précisé dans son Annexe n’est qu’une base minimale que les États sont libres d’étendre, puis il indique qu’un principe de non-discrimination est de vigueur. Faisant une interprétation novatrice de l’Annexe, il estime alors que lorsqu’un État a décidé d’étendre aux étrangers une législation et pratique nationale dans le champ d’un droit, le principe de non-discrimination se doit d’être respecté. En vertu de ces principes, une violation de l’article 13 de la Charte par la France aurait dû être reconnue. 

En 2009, dans l’affaire DEI c. Pays-Bas7, le Comité reconnaît une responsabilité non conventionnelle aux États signataires de la Charte à propos de l’état de sans-abri des personnes en situation irrégulière, mais se refuse toujours à admettre une violation de l’article 13.

Plus récemment, le Comité a franchi les obstacles se dressant devant lui pour admettre l’applicabilité des article 13§1 et §4 et 31§2 de la Charte aux migrants en situation irrégulière8En l’espèce, la FEANTSA accusait le gouvernement néerlandais de ne pas respecter son obligation de proposer des solutions d’hébergement afin de réduire et prévenir l’état de sans-abri, conformément à son engagement pris en vertu de la Charte. Se référant à l’intention des auteurs de la Charte et son objectif de protection des droits humains, le Comité s’est appuyé sur la dignité pour étendre en pratique l’applicabilité des droits sociaux à l’ensemble des étranger, leur offrant un droit à une assistance sociale et médicale d’urgence.

Une extension limitée dans la pratique

Les droits fondamentaux prennent leur source dans l’humanité même de la personne, sans considération de sa situation juridique. Logiquement, du seul fait de sa condition d’humain, un individu en situation irrégulière ne devrait donc pas se voir soustraire la garantie des droits minimum. Le comité déclare en 2015 que les droits sociaux garantis par la Charte doivent être exercés dans toute la mesure du possible pour les réfugiés lorsqu’ils sont directement liés au droit à la vie et à la dignité humaine, en ce qu’ils font partie d’un « noyau dur indérogeable » de droits9

Depuis l’affaire FEANTSA, le Comité rappelle régulièrement dans ses rapports nationaux que les personnes en situation irrégulière doivent avoir un droit juridiquement reconnu à la satisfaction des besoins matériels fondamentaux de l’homme dans les situations d’urgence afin de faire face à un état de besoin urgent et grave.Dans ses conclusions de 2021, le Comité mobilise à de nombreuses occasions cet argument, rappelant à nombre d’États leur obligation de veiller à ce que ce droit soit rendu effectif dans la pratique.

Le principe de solidarité, au cœur du projet européen, devrait également être interprété de manière à tendre vers l’abolition des discriminations entre nationaux et non-nationaux, au nom de l’aspect fondamental des droits protégés par les textes. En matière de droits de l’homme où l’individu est au cœur du raisonnement des institutions, une application méconnaissant les droits fondamentaux des personnes au vu de leur situation juridique irrégulière apparaît contradictoire. 

Malgré la volonté apparente du Comité, sa jurisprudence prouve que l’extension des droits sociaux aux étrangers en situation irrégulière reste limitée aux droits les plus fondamentaux de la personne. Dans toutes les décisions précédemment citées, il est rappelé que cette extension demeure exceptionnelle et régulée par un seuil de gravité difficilement atteignable. En effet, l’obligation des États parties de fournir une assistance aux personnes concernées est cantonnée aux besoins d’urgence : les individus doivent être dans une situation telle que leur vie et leur dignité humaine sont à risque de subir des dommages conséquents et irréparables. 

L’affaire CIJ et ECRE c. Grèce prouve qu’une distinction persiste toujours en fonction de la situation juridique des étrangers sur le territoire européen, et que le critère de vulnérabilité utilisé pour décider de l’applicabilité des droits sociaux connaît des limites. Ces limites semblent parfois contradictoires avec une interprétation téléologique de la Charte, et le fondement même des droits humains. Il est utile de rappeler le principe fondamental inscrit dans la partie I de la Charte d’après lequel « les Parties reconnaissent comme objectif d’une politique, qu’elles poursuivront par tous les moyens utiles, sur les plans national et international, la réalisation de conditions propres à assurer l’exercice effectif des droits et principes » énoncés par la Charte. De fait, ce principe dénote un devoir d’assistance et de coopération internationale qui incombe à chacun des États parties à la Charte. Conformément à l’objectif premier des traités de droits humains, ces derniers sont d’une importance telle que leur effectivité doit être garantie par la participation active des États. Les étrangers en situation irrégulière sont tout autant - si ce n’est plus - soumis à des situations les rendant extrêmement vulnérables, et devraient se voir protéger au nom de la dignité humaine pourtant tant évoquée.

Enfin, l’extension de l’applicabilité des droits sociaux à tous les étrangers est limitée par l’inadéquation entre la théorie juridique et la pratique effective des décisions par les États parties à la Charte. Malgré une évolution concernant l’égalité en droit entre les personnes issues de l’immigration et les nationaux, celle-ci est insuffisante si une égalité de fait n’est pas assurée. Pour que l’égalité soit effective, une action supplémentaire de la part des États est attendue afin de compenser la situation différente dans laquelle peuvent se trouver des personnes en situation de migration par rapport aux nationaux. Le Comité a rappelé en 2015 que des services d’assistance doivent être expressément prévus par les États, ou alors ceux-ci doivent démontrer que leur préparation est suffisante pour apporter une telle aide. En l’occurrence, le Comité admet souvent dans ses conclusions nationales l’inadéquation entre le droit garanti aux étrangers et la situation des États. Par exemple, le Comité a conclu à la suite de la décision CIJ et ECRE c. Grèce que sa demande pour les autorités grecques d’améliorer l’accès à des centres d'accueil adaptés à des mineurs migrants au nom du droit à l’abri, n’a pas été exécutée. Après une demande de rapport détaillé, le Comité a conclu que la situation de la Grèce n’est pas conforme à l’article 32§2 de la Charte puisque la situation du pays ne garantissait ni une protection juridique suffisante ni des conditions de respect de la dignité des personnes.

Bien qu’une interprétation exégétique de la Charte et de son Annexe peut être utilisée afin d’exclure les étrangers en situation irrégulière de la protection accordée par celle-ci, elle se révèle foncièrement contradictoire avec l’essence même des droits humains. Afin de remédier à cette incohérence et rendre effective la garantie des droits sociaux, l’intervention des organisations de la société civile sur la scène quasi-juridique apparaît non seulement propice mais aussi très performante. Il découle de cet article que le champ d’application de la Charte parvient progressivement à s’étendre de manière à garantir des protections aux personnes en situation irrégulière. Le mécanisme des réclamations collectives illustre incontestablement le poids des organisations de la société civile dans la lutte pour plus de droits. 

Anna DIAZ

Références

  1. CEDS, 12 juillet 2021, Commission internationale de juristes (CIJ) et Conseil européen sur les réfugiés et exilés (ECRE) c. Grèce, n° 173/2018.
  2. Série des Traités européens 163, Charte sociale européenne (révisée), Annexe, 3.V.1996. 
  3. Au contraire, les Pays-Bas et la Lituanie ont même explicitement décliné l’invitation.
  4. La discussion sur l'applicabilité des droits sociaux aux personnes en situation irrégulière a également lieu dans le champ de la CEDH. En effet, bien que l’article 1er de la CEDH impose aux États parties la reconnaissance à toute personne les droits et libertés définies dans la Convention, dès lors qu’elle relève de leur juridiction, les États affichent une forte réticence. Récemment, le Parlement danois a adopté un projet de loi prévoyant de renvoyer vers un pays tiers les demandeurs d’asile, sans même les admettre sur son territoire en cas de réponse favorable, allant de fait à l’encontre de la CEDH. Voir la loi L226/2021 adoptée le 8 juin 2021. L’exemple du Danemark illustre parfaitement cette recrudescence d’hostilité à l’égard des personnes en situation irrégulière et confirme le besoin des organisations de la société civile à se montrer encore plus vigilantes.
  5. Art.31§1 Convention de Vienne sur le droit des traités de 1968.
  6. CEDS, 4 mars 2005, Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH) c. France, n°14/2003.
  7. CEDS, 28 février 2010, Défense des Enfants International (DEI) c. Pays-Bas, n° 47/2008.
  8. CEDS, 2 juillet 2014, Fédération européenne des Associations nationales travaillant avec les Sans-abri (FEANTSA) c. Pays-Bas, n°86/2012.
  9. Conclusions 2015, déclaration d’interprétation sur les droits des réfugiés en vertu de la Charte.
Transidentity in Europe: the consequences of the rejection of transidentity on economic and social rights

La transidentité en Europe : les conséquences du rejet de la transidentité sur les droits économiques et sociaux

La reconnaissance du droit à l’autodétermination entre recul et progression

En décembre 2022, les députés écossais votent une loi autorisant l’autodétermination de genre. Cette avancée sociale grandement saluée a malheureusement été bloquée par le gouvernement britannique. En effet, le 17 janvier 2023 Londres a officiellement bloqué la promulgation de ce texte en lui refusant l’assentiment royal – étape formelle mais indispensable pour promulguer toute législation au Royaume-Uni. En réponse à cette résistance, le gouvernement écossais a annoncé vouloir réagir, et a notamment proposé le recours à la « section 35 » du Scotland Act 1998 permettant de faire passer la loi sans l’accord du roi. Ces disparités sont révélatrices des tensions subsistant en Europe sur les questions de la transidentité, de la protection des personnes transgenres et du changement de genre à l’état civil. À la manière de l’Écosse, l’Espagne vient récemment de faire évoluer sa législation en faveur des droits des personnes transgenres, en autorisant l’autodétermination de genre. Le 28 février 2023, le Parlement espagnol a voté la loi « d'égalité réelle et effective des personnes trans » - ou « loi transgenre » - proposée par le parti Podemos.

L’autodétermination de genre permet de faciliter le changement de genre au niveau administratif, notamment en supprimant toute condition de diagnostic médical. Les personnes transgenres n’auront plus besoin de prouver leur dysphorie de genre, dont le processus est souvent long et dégradant, afin de voir reconnaître dès 16 ans le genre auquel elles s’identifient. L’objectif de ces lois est d’éviter aux personnes trans la détresse causée par l’inadéquation entre le sexe biologique et le genre auquel cette personne s’identifie, mais aussi de lutter contre la discrimination et d’accroître la protection des personnes trans. Dans le domaine des droits sociaux, la nouvelle législation espagnole met en place des obligations positives pour les entreprises et les administrations publiques visant à parvenir à une égalité effective pour les personnes LGBTQIA+. Ce-faisant, cette loi permet de diffuser des bonnes pratiques en termes d’inclusion. 

L’Allemagne est la dernière en date à s’inscrire dans cette lignée méliorative des droits des personnes trans. Le 25 mars 2023, un parlementaire a révélé l’existence d’un accord récent avec le gouvernement d’Olaf Scholz pour simplifier la procédure administrative du changement de genre, permettant aux personnes concernées de fournir une simple auto-déclaration.

Cette progression soudaine des droits des personnes de la communauté LGBTQIA+ est plus que jamais indispensable pour faire face à la transphobie ordinaire. Ces progrès ne doivent toutefois pas induire une illusion quant à l’acceptation grandissante des droits des personnes transgenre. La question de la transidentité en Europe reste incontestablement un sujet qui divise.

Malgré ces améliorations récentes, seulement une poignée de pays de l’Union européenne a promulgué le principe d’autodétermination au rang de loi nationale. Le Danemark s’est placé comme précurseur, adoptant ce principe dès 2014, rejoint l’année suivante par l’Irlande et Malte. Enfin, la Belgique a modifié sa législation en 2017 et le Portugal et le Luxembourg en 2018. Quelques maigres espérances sont aperçues en direction des Pays-Bas ou encore de l’Autriche, où certaines démarches de réformes semblent avoir été entamées. À l’inverse, la France semble plus mitigée. Pour l’heure, si un traitement médical ou une opération ne sont plus des critères nécessaires pour changer de genre à l’état civil, celui-ci reste subordonné à la décision d’un tribunal vérifiant la réalité de la dysphorie de genre. Pour les mineurs, l’accord des parents ou des détenteurs de l’autorité parentale est nécessaire jusqu’à l’âge de 18 ans - contre 16 ans en Allemagne par exemple.

Plus problématique encore, la Suède, pourtant vue comme pionnière des droits des personnes transgenres, a fait marche arrière vis-à-vis de leur protection. En février 2022, le gouvernement suédois annonçait la fin de l’autorisation d’hormonothérapie pour les mineurs, en n’autorisant cette pratique qu’en cas de recherche scientifique. Ce faisant, la Suède rejoint la position de la Finlande présentée en 2020. Une autre régression a été observée du côté de la Hongrie, qui a adopté en décembre 2020 une série de textes anti-LGBT. Le sexe est défini comme étant uniquement celui de la naissance, ainsi le changement de genre est interdit à l’état civil.

L’absence de consensus européen sur la question de la transidentité et le manque de définitions communes des notions correspondantes, expliquent les différences pratiques dans les pays européens. 

Pour le moment, l’Union européenne n’a pas développé de directive spécifique à la discrimination fondée sur l’identité de genre. La Directive 2000/78/EC promeut l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, interdisant la discrimination au nom de l’orientation sexuelle. Toutefois, son interdiction découle de la jurisprudence de la CourEDH. En 1996, la Cour inclut dans la catégorie de « sexe » la discrimination contre une personne au motif qu’elle a l’intention de subir ou a subi une conversion sexuelle. Puis la Directive 2000/54/CE vient inclure dans son préambule la discrimination fondée sur le changement de sexe d’une personne. Mais ces textes législatifs ne sont pas suffisants à la protection des personnes trans, notamment en raison de l’absence de reconnaissance et de définition consensuelle des notions « d’orientation sexuelle » ou « d’identité de genre ». Ainsi, une proposition collective a été déposée devant l’assemblée générale de l’ONU par la France et les Pays-Bas, relative à l’orientation sexuelle et l’identité de genre. Cette proposition européenne a été approuvée par 57 États mais une contre-déclaration de 57 autres États, fédérés par l’organisation de la coopération islamique est venue annihiler cette initiative. L’inclusion de l’expression de genre dans la notion de discrimination peut encore être couverte par l’interprétation des Cours européennes, et notamment la CJUE, au nom de leur combat contre toute discrimination fondée sur le sexe.

Depuis 2015, le Conseil de l’Europe encourage les pays-membres à faciliter l’autodétermination, soutenant de fait l’interdiction de la discrimination fondée sur l’identité de genre. Toutefois, cette discrimination ne reste prohibée que par une minorité d’États-membres.

Le droit à la protection de la santé : entre théorie et pratique

En 2019, l’OMS a retiré la transidentité de la liste des troubles mentaux. Cette reclassification tardive est une victoire pour les droits des personnes trans et une avancée majeure pour l’accès aux services de santé. Le lien entre la transidentité et le droit à la santé est indéniable. En effet, le fait de nier l’existence de cette identité ou de la pathologiser entraîne de la violence psychologique, verbale et physique sur les personnes concernées1. Premièrement, en appartenant à une minorité particulièrement critiquée, mal comprise et au cœur de discriminations institutionnelles, les personnes trans sont sujets à l’appréhension de violences réelles ou potentielles provoquant un stress anormal. Cette réalité a fait l’objet de nombreuses études, et a été théorisée comme « stress des minorités » par Ian H. Meyer2. Enfin, une étude de 2017 révèle que le taux de dépression est supérieur chez les personnes trans n’ayant pas encore entamé ou terminé leur transition, non seulement par rapport aux personnes cisgenres mais aussi par rapport aux personnes trans dont le processus de transition est terminé3. Toutes ces similarités dans les études scientifiques et empiriques, regroupant des expériences individuelles et sociétales, sont la preuve que la persistance des préjugés sur la transidentité fait que l'appartenance à la communauté trans affecte la santé mentale des individus. Ainsi, les gouvernements ayant récemment autorisé l’autodétermination ont reconnu leur volonté de combattre la dysphorie de genre, en dépathologisant la transidentité. 

La Charte sociale européenne révisée garantit dans son article 11 le droit à la protection de la santé. Dans le résumé de la quasi-jurisprudence du Comité européen des droits sociaux, le Conseil de l’Europe précise que cet article 11 vient compléter les articles 2 et 3 de la Convention européenne des droits de l’homme ; ce-faisant, le droit protégé par la CSE découle directement du droit à l’intégrité de la personne humaine.4Il est explicitement indiqué que l’article 11 doit être interprété comme comprenant le respect de l’intégrité physique et psychique comme partie intégrante des droits à la protection de la santé.5.

Cette évolution interprétative de l’article 11 provient d’une réclamation collective initiée par Transgender Europe et ILGA-Europe contre l’obligation légale de stérilisation imposée en République Tchèque aux personnes transgenres voulant entamer une procédure de changement de genre à l’état civil. Ainsi, les droits définis par la Charte doivent être interprétés à la lumière de la réalité actuelle, en respectant la dignité des personnes. Dans cette décision de violation, le CEDS impose plusieurs obligations positives et négatives aux gouvernements, dont l’obligation de non-ingérence directe ou indirecte dans l’exercice du droit à la santé. Au nom de la dignité et de la notion de consentement, tout traitement médical qui n’est pas absolument nécessaire peut être jugé contraire à l’article 11, s’il est nécessaire pour obtenir l’accès à un autre droit. En l’occurrence, conditionner le changement de genre à l’état civil à la réalisation d’une opération médicale va à l’encontre de la Charte. Cette obligation de non-ingérence et de protection de la santé des personnes trans a été rappelée par le Comité dans ses conclusions de 2021, dans le cadre d’une réponse générale au sujet du droit à la protection de la santé des personnes transgenres mais aussi à l’attention de la Pologne. Ainsi, dans ses conclusions par pays, le Comité a demandé à la Pologne d’apporter davantage d’informations sur la situation des personnes transgenres dans le pays, notamment sur l’accès aux traitements de réassignation de genre et des conditions de reconnaissance juridique de l’identité de genre.

Cette question est indéniablement liée à la notion de consentement, puisqu’un consentement éclairé est essentiel au bon exercice du droit à la santé, à l’autonomie et à la dignité humaine. Non seulement les personnes transgenres doivent être libres de recourir à un traitement ou une opération médicale, mais elles doivent être précédées par des informations adéquates. De fait, imposer une opération médicale comme condition de facto pour permettre aux personnes trans d’être reconnues comme appartenant au genre auquel elles correspondent revient à leur imposer un consentement contraint.

Bien que ces législations soient favorables à la protection du droit à la santé des personnes transgenres, elles semblent encore trop exceptionnelles et invisibilisées pour être effectives. La réalité pratique montre toutes les difficultés auxquelles font face les personnes trans pour avoir accès aux soins de santé adéquats et les nombreuses situations dans lesquelles elles sont encore soumises à des traitements dégradants et discriminants.

Discrimination et harcèlement au travail : le fléau des personnes trans

Après avoir analysé une série de sondages sur les conditions de travail des personnes trans, la conclusion est limpide : partout dans le monde les personnes transgenres souffrent des discriminations subies sur leur lieu de travail du fait d’appartenir à cette minorité.

En 2020, l’Agence des droits fondamentaux de l’UE a révélé les résultats d’une enquête, intitulé « Un long chemin à parcourir pour l’égalité des LGBTI ».6Au cours de cette enquête, un sondage a été réalisé au sein de la communauté LGBTQIA+ leur demandant s’ils se sentaient discriminés en raison de leur appartenance à cette communauté lorsqu’ils cherchaient un emploi, et séparément lorsqu’ils travaillaient. Ainsi, que ce soit en amont ou pendant leur période de travail, des discriminations sont subies. Parmi toutes les catégories de la communauté LGBTQIA+, les répondants transgenres sont nettement plus nombreux à s’être sentis discriminés au travail (35%). En 2022, un sondage IFOP pour L’Autre Cercle estime quant à lui que plus de la moitié des personnes LGBTQIA+ en France entendent des expressions LGBTphobes dans leur organisation de travail (« ce n’est pas un boulot de pédé », par exemple)7. Trois sur dix disent avoir été victime d’au moins une agression pour ce motif au cours de leur vie professionnelle8. Entre un et deux millions de personnes LGBTQIA+ cachent, aujourd’hui encore, leur orientation sexuelle au travail9. Ce fléau ne se limite pas qu’à l’Europe. Une enquête nationale canadienne sur le harcèlement et la violence dans les milieux de travail estime qu’en 2022, les personnes trans et non binaires font l’objet de harcèlement et de violence plus que les autres. 

En plus de la discrimination, les personnes transgenres font donc face au problème de harcèlement dans le domaine de l’emploi. Le harcèlement moral se définit par des actes répétés menant à une dégradation des conditions de travail, pouvant porter atteinte aux droits d’une personne, à sa dignité, sa santé physique ou mentale, et pouvant compromettre son avenir professionnel. En toute logique, le harcèlement peut être qualifié de discriminatoire s’il repose sur un critère de discrimination généralement admis ; donc il inclut l’identité de genre. 

L’article 20 de la Charte sociale européenne révisée interdit la discrimination fondée sur le sexe. Les États membres ont l’obligation de mettre en place des mesures permettant une égalité effective à tout stade de la carrière professionnelle. De plus, son article 3 protégeant le droit à la sécurité et l’hygiène au travail doit être interprété comme comprenant l’interdiction de la violence et du harcèlement au travail10. La Charte ne définit pas les risques à règlementer mais les États membres doivent prouver au Comité l’existence de mesures de prévention et protection adéquates vis-à-vis de certains domaines à risques, dont font partie les risques psychosociaux, de stress lié au travail, agression, violence et harcèlement sur le lieu de travail11. Il est aussi précisé que la Charte doit être interprétée de sorte à s’adapter aux réalités actuelles, il semble donc que la question spécifique des personnes trans doit être questionnée et protégée par les entreprises. 

À toutes les étapes de la vie professionnelle, que ce soit à l’embauche, dans le déroulement de carrière ou au moment du licenciement ou de la fin de poste, les personnes trans subissent les conséquences de la LGBTphobie banalisée. Cette situation de violations des droits humains spécifiques aux personnes LGBT au travail est particulièrement complexe, puisqu’elle n’est que très peu encadrée. Le droit de la non-discrimination s’applique de façon globale, y compris dans le secteur de l’emploi qu’il soit public ou privé. Toutefois, comme rappelé précédemment il n’y a pas de consensus sur la notion de discrimination et ce qu’elle englobe. La législation européenne ne prévoit pas d’interdiction spécifique de la discrimination fondée sur la transidentité. La jurisprudence a intégré ces violences dans l’interdiction des discriminations fondée sur le sexe, mais la couverture semble limitée aux personnes ayant subi un changement de sexe.

La Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, adoptée en 2011, est le premier traité relatif aux droits humains à inclure l’identité de genre de manière explicite parmi les motifs de discrimination. Au niveau national, une minorité d’États membres du Conseil de l’Europe ont expressément inscrit l’identité de genre dans leur législation de lutte contre la discrimination. La France a rejoint ces derniers très récemment, consacrant le terme « identité de genre » en tant que critère spécifique de discrimination12 afin de remplacer celui « d’identité sexuelle ». Cette évolution progressive permet d’éviter la confusion entre « sexe » et « identité » et ainsi d’éliminer toute stigmatisation.

Toutefois, ce manque de législation et l’inégalité des progrès à l’échelle mondiale permettent aux stéréotypes négatifs et à la discrimination de persister. L’absence d’action concrète des institutions révèle la passivité et le manque de considération de l’enjeu de ces discriminations et des conséquences sur la vie des personnes trans. La stigmatisation persistante empêche la compréhension de cette notion de transidentité.

In fact, the most effective development at the moment is more localised. For example, in 2012, the French organisation “l’Autre Cercle” created a Charter of LGBT+ Commitment, enshrining four main principles for companies. Companies can sign the Charter, committing themselves de fait à en respecter les principes et manifestant publiquement leur volonté d’atteindre l’égalité de traitement des salariés LGBT+. Cette Charte regroupe aujourd’hui 186 signataires. Face aux discordances internationales, les acteurs de la société civile seraient-ils les plus à même de protéger de manière effective les droits bafoués des minorités ?

Anna DIAZ

Références

  1. Révélé par de nombreuses enquêtes, voir entre autres : FRA - European Union Agency for Fundamental Rights,A long way to go for LGBTI equality“, 2020 ; Lucia S, Stadelmann S, Amiguet M, Ribeaud D, Bize R, Enquêtes populationnelles sur la victimisation et la délinquance chez les jeunes dans les cantons de Vaud et Zurich. Les jeunes non exclusivement hétérosexuel-le-s :populations davantage exposées? Lausanne : Institut universitaire de médecine sociale et préventive, 2017 (Raisons de Santé 279).
  2. Meyer IH, « Prejudice, social stress, and mental health in lesbian, gay and bisexual population : conceptual issues and research evidence », Psychological Bulletin, 129(5), 674-697, 2003.
  3. Durkwood, L., MacLaughlin, K., Olson, K. (2017) “Mental Health and Self-Worth in Socially Transition Transgender Youth.” Journal of the American Academy of Child & Adolescent Psychiatry, Volume 56, Issue 2, p. 116-123.
  4. Digest of the case law of the European Committee of Social Rights, June 2022, p. 111.
  5. Ibid, p. 112.
  6. FRA – European Union Agency for Fundamental Rights. A long way to go for LGBTI equality, 2020.
  7. Results of the 3rd LGBT+ Barometer of « L’Autre Cercle » in partneship with Ifop, Un état des lieux de l’inclusion des personnes LGBT+ au travail en France, 3 June 2022.
  8. Ibid, pp.8-9.
  9. Défenseur des droits, Agir contre les discriminations liées à l’orientation sexuelle et à l’identité de genre dans l’emploi, Guide may 2017.
  10.  Digest of the case law of the European Committee of Social Rights, June 2022, p. 63.
  11. Ibid.
  12.  Law n°2017-86 from 27 January 2017 on equality and citizenship.